Cher à notre Magazine Déco, le modernisme s’inscrit dans la continuité de l’Art déco. Dès le milieu des années vingt ce mouvement se développe un peu partout en Europe. De l’Art déco, les modernistes retiennent l’épure des lignes, la géométrisation des formes mais refusent le diktat des matériaux nobles et de la pièce unique…

Le modernisme tarde à s’imposer en France. Longtemps, le public préférera l’opulence des créations Art déco et d’autres styles anciens. Lors de l’exposition Internationale de Paris en 1925 où l’Art déco connaît son plus grand triomphe, le Pavillon de l’Esprit nouveau, symbole du modernisme, sera boudé par le public et fera l’objet de nombreux sarcasmes. L’organisation de l’exposition fera même tout pour que ce Pavillon conçu par Le Corbusier ne soit pas présenté au grand public. Ils le feront construire en marge du centre névralgique de l’exposition et tenteront de faire ériger une immense palissade tout autour pour le mettre hors de vue des visiteurs.  Le rejet de ce Pavillon sera tel que lorsque le jury international voudra lui attribuer la plus haute récompense pour son esprit novateur, le président du jury, ultra conservateur, opposera son droit de veto déclarant « qu’il n’y avait pas là d’architecture ». Sans aucun doute, préférait-il le Pavillon du Collectionneur de Jacques-Emile Ruhlmann, qui emporta les faveurs de la plupart des visiteurs. 

« Sandows » : chaise longue tout en métal tubulaire. René Herbst. 1928

Le mouvement moderne faisait polémique.

En 1929, à l‘initiative de Robert Mallet-Stevens, les artistes modernes décident de se regrouper sous l’Union des Artistes Modernes (UAM). Quelques temps plus tard, en 1934, pour répondre à la critique incessante et mieux expliciter leur démarche au grand public déconcerté par leurs créations innovantes, ils signent leur manifeste dans lequel ils définissent les grandes lignes du mouvement. Parmi les signataires, on retrouve des grands noms de l’histoire du design : René Herbst, Francis Jourdain, Le Corbusier, Pierre Chareau, Jean Prouvé, Charlotte Perriand.

A la lecture de ce manifeste, on comprend mieux les intentions de ces créateurs avides de modernité.

Ils s’opposaient très nettement aux conventions de l’Art déco.

Pour eux, il n’était plus question d’utiliser des matériaux nobles et de produire des pièces uniques. « L’Art décoratif est à supprimer » disait l’architecte Auguste Perret.

A présent, il fallait se tourner vers « l’avenir » et « être des créateurs du temps que nous vivons ». 

Il fallait savoir tirer profit de l’industrialisation qui apportait de nouvelles libertés dans la conception des objets et des architectures, grâce à l’utilisation de nouveaux matériaux comme le bêton armé, l’acier, les agglomérés plastiques. L’usage du bois seul par exemple limitait trop les initiatives et ne permettait pas de donner un sang neuf aux objets. En outre, les modernistes voulaient impérativement se dégager d’une clientèle trop élitiste et concevoir des meubles bons marchés qui puissent être accessibles au plus grand nombre. L’industrialisation rendait cela possible grâce à des coûts de production amoindris par le lancement de grande série. Pour Le Corbusier «l’art moderne est un art véritablement social, un art pur accessible à tous et non une imitation faite pour la vérité de quelques-uns».

Meuble de chambre pour la Cité Universitaire de Paris. Charlotte Perriand, 1959

Enfin, il convenait de penser des meubles qui durent, des meubles plus solides que les meubles anciens.

Le métal et les plastiques offraient cette possibilité.

Robert Mallet-Stevens et René Herbst, membres fondateurs de l’Union des Artistes Modernes, sont les deux grands précurseurs de l’histoire du mobilier français à avoir utilisé l’acier comme matériau principal et structurel d’un meuble.

La petite chaise noire de Rob Mallet-Stevens, toute d’acier laqué est aujourd’hui un classique du design.

Quant à René Herbst, il fût mal compris par les industriels de son époque réticents à la modernité tant il utilisait le tube de métal et l’acier dans ses créations. Il dût éditer lui-même la plupart des ses créations.

Coté plastique, Charlotte Perriand, également membres de l’UAM, a su tirer parti de la solidité de ce matériau en concevant des tiroirs en plastique inusable pour les meubles de certaines chambres de la Cité Internationale Universitaire de Paris.

Comme tout mouvement à fort esprit novateur, le modernisme a pendant longtemps été sujet aux railleries de la critique et du public mais aujourd’hui les pièces dessinées par les créateurs de cette mouvance sont en vogue, devant les pièces Art déco. La tendance s’est inversée, dénaturant un des objectifs prioritaires du mouvement : vendre à bas prix des pièces produites industriellement. Les meubles « modernistes » valent de l’or (voir notre article Tendances sur le Métal indémodable).

Le précepte de Le Corbusier «l’art moderne est un art véritablement social, un art pur accessible à tous et non une imitation faite pour la vérité de quelques-uns» n‘a aujourd’hui plus aucune valeur.