De plus en plus de designers osent créer des pièces de mobilier insolites qui questionnent notre rapport aux objets, aux matériaux et à l’écologie. En mêlant art et design, ces créateurs proposent une vision décalée de la fonctionnalité et un retour aux valeurs humaines.

 

La frustration face au modernisme et à l’industrialisation

 

En imaginant des sièges incertainement confortables, des vases dégoulinants ou des pièces déconstruites, ces designers expriment leur frustration avec le modernisme et ses formes minimales, l’injonction au confort et les matériaux traditionnels utilisés pour fabriquer des meubles. Un conservateur spécialisé dans le design considère que ce mouvement est une réaction à l’industrialisation et à la standardisation qui l’accompagne. Ainsi, ces créateurs revendiquent leur volonté d’offrir autre chose qu’une simple fonction. Selon eux, la rationalisation et le confort sont secondaires, et même une applique peut venir révolutionner un salon design. Ces artistes se placent dans la lignée de designers tels que les utopistes italiens, qui voulaient faire résonner leur pratique avec les luttes sociétales de leur époque. Nombre de ces designers expérimentaux sont diplômés de la Design Academy Eindhoven, qui met l’accent sur l’affirmation de soi, la mise en avant de l’individualité et la prédominance du discours sur la forme. Un des étudiants de l’académie soutient qu’il faut s’éloigner des arts décoratifs traditionnels pour formuler un discours plus complet sur les enjeux contemporains tels que les problèmes climatiques et la surconsommation. Ces créateurs ont aussi pour point commun leurs recherches sur les matériaux en lien avec l’écologie et les urgences climatiques. Certains choisissent d’utiliser des matériaux principalement destinés à être jetés, comme le charbon pour soulever des questions sur les combustibles fossiles, ou des plaques d’asphalte. D’autres explorent des combinaisons de matériaux plus polluants, comme le polystyrène expansé, la laque automobile ou encore le silicone. 

 

Inspirations venues de la science-fiction et du numérique

 

Une grande spécificité de ce mouvement est son inspiration issue de l’imaginaire de la science-fiction, qui reflète nos interrogations sur le futur et notre rapport aux objets. Ces œuvres oscillent entre design et art contemporain, car elles véhiculent un discours sur la fonction, les matériaux, l’utilisation des objets à l’ère du numérique. Comme l’explique notre étudiant de la Design Academy, à travers le dégoût, on peut provoquer des sensations différentes de la beauté et faire réfléchir les utilisateurs. Son travail a d’ailleurs intégré les collections du Centre Pompidou aux côtés d’œuvres de designers de grande renommée, tels que Jean Prouvé, preuve que ces meubles extraordinaires sont le reflet d’une réalité sociétale. L’influence de la science-fiction et du numérique ouvre également un champ infini d’explorations esthétiques et fonctionnelles, permettant de repenser notre environnement quotidien à travers le prisme de l’anticipation et de la critique sociale. Dans ce contexte, les designers ne se contentent pas de créer des objets à contempler, mais cherchent à engager une réflexion profonde sur notre futur, l’interaction entre l’humain et la machine, ainsi que sur les implications éthiques de l’innovation technologique. Ces pièces, souvent hybrides, intègrent des technologies avancées comme l’impression 3D, la réalité augmentée ou les matériaux intelligents, brouillant ainsi la ligne entre le réel et le virtuel, le naturel et l’artificiel. En défiant les conventions, ces créations poétiques invitent les spectateurs à s’interroger sur leur propre rapport à l’objet, stimulant l’imagination et favorisant une prise de conscience sur des enjeux cruciaux tels que la durabilité, l’obsolescence programmée et l’autonomie des objets dans nos vies.

Ces designers atypiques proposent une critique poétique de notre société, invitant le spectateur – et l’utilisateur – à se questionner sur la place des objets dans nos intérieurs et sur l’impact de notre mode de vie sur l’environnement.