L’essentialisme organique de Ross Lovegrove
Devenu un des plus célèbres designers de notre temps, le britannique d’origine galloise Ross Lovegrove a développé son œuvre autour d’une notion pivot qu’il appelle “essentialisme organique” (ou organic essentialism, en anglais). Cette philosophie du design prend son sens dans un courant de pensée déjà ancien, puisqu’il consiste à imiter la nature : le biomimétisme (ou biomimicry en anglais). Depuis le Bauhaus, le design moderne, de même que l’architecture et les arts plastiques, a souvent plus tourné autour de la géométrie que des formes naturelles, après des siècles passés à peaufiner jusqu’à la perfection l’imitation de ces formes. Le design de Ross Lovegrove procède d’une manière tout à fait différente de la reproduction des formes, des couleurs, des matériaux de la nature : au lieu de tenter de la reproduire, il adopte sa logique, ses procédés, ses méthodes de création et de destruction.
Un design minimaliste
En effet, la destruction fait partie intégrante des designs de Ross Lovegrove : de même que la biologie, pour fabriquer une main humaine, commence par créer un bourgeon cellulaire, avant de programmer la mort sélective de millions de cellules dont la disparition va former les doigts, de même Ross Lovegrove trace d’abord des formes pleines qu’il évide progressivement, étape par étape, pour ne retenir que la forme la plus légère possible tout en conservant les propriétés de solidité et de résistance nécessaires pour tel ou tel objet, qu’il s’agisse d’une voiture, d’une bouteille de parfum ou d’un fauteuil. Par ailleurs, le design de Ross Lovegrove est intrinsèquement économe de moyens. Là où le design de meubles traditionnel et même moderne, a tendance à créer des structures pleines, par exemple, le dossier et l’assise d’un fauteuil, ou d’une chaise, le plateau d’une table, etc sont souvent constitués de surfaces continues. Ross Lovegrove, lui, inspiré par les squelettes des animaux, préfère dessiner des trames porteuses, des grilles d’apparence effectivement organiques, semblables aux structures cellulaires observées au microscope.
L’exemple de la chaise Supernatural
Un exemple parlant : sa célèbre chaise Supernatural a un dossier en forme de lobe, plutôt étroit à la base et qui s’évase au niveau du haut du dossier. Ce choix se justifie par une évidence : quand on s’assoit sur une chaise et qu’on s’adosse, seul le haut du dos est en contact avec le dossier, donc pourquoi mettre de la matière là où le corps n’en a aucun besoin ? De plus, ce dossier en forme de lobe n’est pas une surface plane, mais une trame percée de formes ovales, là encore, le design organique, économe en moyens, place le matériau uniquement là où il faut, autant qu’il faut, ni plus ni moins.
L’exemple de l’escalier DNA
Autre exemple de l’essentialisme organique appliqué au design : l’escalier “DNA” que Ross Lovegrove a conçu pour son propre atelier à Londres. (D’après l’auteur, DNA signifie “Design, Nature, Art”.) Cet escalier a été conçu sur le modèle d’une colonne vertébrale. Tout comme une série de vertèbres de forme similaire, l’escalier DNA se compose d’une série de marches qui ressemblent aux pales d’une hélice et dont le bord gauche se termine en forme de tube. Ces sections de tube s’emboîtent les unes dans les autres pour constituer le pilier central de cet escalier rotatif. Là encore se retrouve le minimalisme, l’économie de formes et de moyens de production, au cœur du design : un seul élément reproduit plusieurs dizaines de fois, avec un seul moule, une seule machine crée tout l’escalier.
Un design d’avenir ?
A une époque où l’humanité prend conscience du fait que ses produits menacent la vie sur terre, le design organique de Ross Lovegrove vient apporter des réponses aux angoisses de notre temps : économiser les matériaux et les moyens peut permettre de mieux gérer, à l’avenir, des ressources devenues plus rares, dans le cadre d’une économie circulaire basée sur le recyclage.